Droséra - Journal du Parc 2025

Portraits Journal du Parc 2025

Découvrez 17 portraits inspirants, des hommes et des femmes qui insufflent vie et dynamisme à notre territoire. 

Droséra

Résumé

Publié le 08/04/2020

Aujourd'hui, faisons connaissance avec le Droséra.

Droséra - Tourbières du Margnès

On s’avance les pieds dans l’eau dans les tourbières du Margnès, près de Fontrieu. Ce coin du Parc est réputé pour être souvent dans les nuages et dans la brume. Après plusieurs embuches dans les touradons de molinies bleues, on aperçoit au sol une gouille (flaque d’eau) colonisée avec en bordure des droséras et de la sphaigne. On recherche un certain Dédé le droséra. L’un se retourne, rond, rouge et gluant car couvert de petites gouttes de colle. Cette petite rosette de feuilles a les pieds dans l’eau et reste blottie contre ses pairs.

Pour commencer, pourriez-vous nous dire qui vous êtes ?

Bien sûr ! Je suis une plante carnivore, précisément un droséra à feuilles rondes, ou drosera rotundifolia en latin. Dans la famille des droséras, ou rossolis, je suis un peu l’original : mes cousins, le droséra à feuilles longues et le droséra intermédiaire, sont encore plus rares que moi et préfèrent les climats plus nordiques ou montagnards. 

Ici, dans le Haut-Languedoc, on m’appelle aussi l’Èrba d’aiganha (l’herbe de la rosée, en référence à mes feuilles toujours couvertes de gouttelettes) ou la Tarbèra, bien que je ne sache pas vraiment pourquoi. Par contre, ce que je sais, et vous allez tous être surpris, c’est qu’on dit bien un droséra, et non une droséra. Pour ma part, peu m’importe (après tout je suis à la fois mâle et femelle !), mais mon nom provient directement du latin, langue dans laquelle certains mots en -a sont masculins. C’est le cas de beaucoup de plantes : ne dit-on pas un dahlia ? Un camélia ? Un pétunia ? 

Je vis dans ce qu’on appelle chez nous : « les sagnes », ces tourbières où l’eau abonde et où le sol est pauvre en nutriments. Pour survivre, j’ai développé un régime alimentaire bien particulier : je suis carnivore ! Mes feuilles collantes piègent des insectes, dont je tire les nutriments. Cela compense la pauvreté du sol où je pousse, dans des zones acides et riches en matière organique qui ne se décompose que très lentement.

Comment décririez vous votre parcours ?

Je suis né ici et je n’irai nulle part ailleurs. Comme toutes les plantes, une fois enraciné je n’ai pas vraiment de mobilité, même si mes graines flottent et peuvent être transportées par l’eau.

«   Dans le Haut-Languedoc, mon habitat est rare, fragile et menacé, et cela rend ma présence, dans ces tourbières du sud du Massif central, d’autant plus précieuse ».

Nos tourbières sont de moins en moins nombreuses et abriter un droséra signifie que l’écosystème est encore sain, avec de l’eau presque en permanence. On peut dire que je vis une pénurie de logement, et la protection nationale dont je bénéficie est vraiment nécessaire. Cette stabilité de l’environnement nous est essentielle, mais elle est de plus en plus difficile à préserver avec les changements climatiques qui contribuent à assécher les tourbières et la disparition des pratiques agropastorales nécessaires à leur entretien. D’ailleurs, les vaches qui empêchent l’embroussaillement des sagnes sont mes copines mais, si elles sont trop nombreuses, elles peuvent me piétiner, tout comme les gens qui me recherchent.

Pourquoi avez-vous choisi le Haut-Languedoc ?

Je n’ai pas vraiment choisi, mais je suis bien ici où les zones humides sont nombreuses ! En plus de m’apporter la fraîcheur et l’humidité dont j’ai besoin, ces milieux sont essentiels pour vous aussi, les humains.

«    Les zones humides comme les tourbières stockent de l’eau, la purifient et la libèrent en période de sécheresse. Elles fixent aussi le carbone, contribuant à ralentir le réchauffement climatique et retiennent le gaz à effet de serre. Conserver mon habitat, c’est non seulement préserver ma vie mais aussi assurer la qualité de l’eau de vos rivières et celle de vos robinets ! ».

Ce qui est aussi très agréable ici, ce sont les voisins : je cohabite avec notamment la Molinie bleue, la Narthécie des marais, toutes sortes de sphaignes, le lézard vivipare, des libellules ou des papillons, comme par exemple le Damier de la Succise. Et, puisque je parle d’insectes volants, sachez que lors de ma phase de floraison qui court de juin à août, je perche mes fleurs en hauteur sur ma tige pour que les polinisateurs ne se fassent pas coller sur mes pièges à insectes : ce serait contreproductif ! 

Enfin, je suis bien adapté aux hivers parfois rudes du territoire, durant lesquels je replie mes feuilles sur moi-même, formant un hibernacle qui me permet de résister durant cette période froide et de repartir au printemps. 
 

Et comment voyez-vous votre avenir ?

(Soupir) Il est malheureusement incertain. 

«   Les changements climatiques, le drainage des zones humides, la plantation de résineux, la disparition de l’agropastoralisme… tout cela menace notre survie. Mais il existe des initiatives positives »

comme les mesures de gestion durable des zones humides avec le réseau Natura 2000, qui y encourage le pâturage extensif. Sur certaines sagnes, les anciens drains ont même été bouchés ou barrés pour maintenir l’eau dans les tourbières, et l’Office National des Forêts y travaille avec des agriculteurs pour éviter la plantation de résineux et restaurer ces milieux. Le Conservatoire d’Espaces Naturels, quant à lui, acquiert des parcelles de zones humides pour y installer des éleveurs ou leur propre troupeau et maintenir ou restaurer leur bon état de fonctionnement. Tous ces efforts aident à préserver des habitats pour des plantes comme moi. Et si vous voulez vous aussi aider les droséras de France et d’ailleurs, vous pouvez encourager l’agriculture durable en vous fournissant en viande chez de petits producteurs, et ne pas acheter du terreau avec de la tourbe dedans, l’exploitation de la tourbe détruisant mon lieu de vie.

Quel lien entretenez-vous avec le Parc naturel régional du Haut-Languedoc ?

Le Parc est un allié précieux. Il soutient des actions de préservation des zones humides et de leur biodiversité, en partenariat avec des syndicats de rivières, l’ONF, le CEN et d’autres acteurs. Il sensibilise également le public à notre fragilité, trop de piétinement pouvant nous détruire, et aux menaces qui pèsent sur nous et les sagnes où nous vivons. Les droséras ont besoin de toutes les bonnes volontés pour pouvoir survivre aux changements de pratiques et de climat qui mettent en péril l’équilibre des milieux si fragiles où nous nous épanouissons encore aujourd’hui.

Crédits photos: Tela Botanica / PNRHL -J. Casquet & C. Almodovar