Peire Thouy - Journal du Parc 2025
Découvrez 17 portraits inspirants, des hommes et des femmes qui insufflent vie et dynamisme à notre territoire.

Engagées et passionnées, ces personnalités incarnent l’essence même du Parc et de ses initiatives. Ces hommes et ces femmes œuvrent pour leur territoire.
Aujourd'hui, faisons connaissance avec Peire Thouy.
Peire Thouy - Paysan, héritier de son papet et fervent défenseur de la langue occitane
Un jeudi matin 8h départ de Saint-Pons-de-Thomières pour rejoindre le joli village de Vabre. Les degrés tombent mais nous nous élevons et les paysages sont à couper le souffle. Forêts de feuillus constellées de résineux, village typique et brouillard à la fois magique et mystérieux créent une ambiance propre à ce bout de pays dans le sud du Tarn. Nous arrivons chez Pèire, Festina sa chienne polyglotte nous accueille et nous nous asseyons à sa table, prêts à discuter, car c’est avec un amoureux de la langue et des mots que nous allons échanger.

Qui êtes-vous ?
Un paysan, un enfant du pays qui vit et aime sa terre, héritier de son papet. J’ai 77 ans, je suis conférencier-transmetteur, occitan, professeur de SVT à la retraite, mais surtout un passionné de nature et d’oiseaux.
Je suis né à Castres, d’une famille ancrée ici en pays d’Oc depuis des générations. Mon parcours est atypique : j’étais parti pour devenir vétérinaire, mais des conditions difficiles à Toulouse m’ont conduit vers les sciences à la faculté de Rangueil. J’ai passé 12 ans au Maroc à baguer des oiseaux et à enseigner.
Revenu al país, j’ai poursuivi mes études, scientifiques à Montpellier, et littéraires (occitan, catalan, arabe, histoire) à la fac du Mirail à Toulouse. Parallèlement, à Lacaune puis Brassac, j’ai enseigné les SVT, puis l’occitan. Oui, j’alternais la biologie et l’occitan, cette langue m’a toujours fasciné. Sans oublier la santé du corps avec le rugby et la course à pied, superbes écoles conviviales.
Quelles sont vos activités aujourd’hui ?
Depuis 60 ans, je bague des oiseaux, notamment en Haut Languedoc et en Camargue sur le territoire de la Réserve nationale, étudiant comportements, stratégies et migrations. Ces observations nous révèlent les impacts des changements climatiques et des pratiques agricoles. On constate que la longévité des espèces a diminué, liée aux pesticides, à la qualité de l’air, et aux modifications des habitats. C’est un travail minutieux, parfois frustrant, mais essentiel pour comprendre et protéger la biodiversité. Je m’intéresse aussi au régime alimentaire des rapaces nocturnes, surtout l’Effraie des clochers, en analysant les pelotes de réjection. C’est le reflet de l’état de santé de leur environnement. Et du nôtre !
En parallèle, je m’investis pour la langue occitane : cours, soirées culturelles, conférences, ou encore participation à divers ouvrages, comme la préface en occitan de l’Atlas des mammifères en Midi-Pyrénées ou l’Atlas des vertébrés de l’Aveyron. J’organise des rencontres musicales et linguistiques, je joue moi-même du graile, le hautbois traditionnel des Monts de Lacaune et chante avec Cantazalais, une chorale occitane.
« Ce lien entre nature, langue et culture me tient à cœur : j’ai hérité des troubadours ! »
Quel est votre lien avec l’occitan ?
Il est familial, bien sûr, mais aussi militant et culturel. Je suis d’une génération où les grands-parents parlaient occitan entre eux, et où mon père, comme beaucoup, l’avait rejeté. Cela m’a profondément marqué. Revaloriser cette langue, c’est rendre justice à tous ceux et celles qui ont été punis pour avoir parlé leur langue, c’est redonner du sens aux mots et à notre histoire. Je n’ai jamais lâché cette langue populaire douce, riche et logique. Elle raconte nos histoires, nos terres, nos liens.
Je travaille aussi sur la toponymie et la patronymie. Les noms des lieux et des personnes nous révèlent des trésors d’informations sur le passé et la nature : ce sont de bons indicateurs. J’encourage les gens à s’interroger sur le sens des mots pour regarder leur environnement autrement, s’y sentir mieux, et là l’occitan est un atout incontournable.
Pourquoi choisir de transmettre ?
C’est un plaisir et… un devoir ! Depuis jeune, je faisais des diaporamas sur la nature et les oiseaux. Aujourd’hui, c’est dans les conférences, les cours ou les échanges que je m’épanouis. Le bonheur est dans les relations : il n’y a pas de vie sans échanges et pas d’échanges sans différences. La langue occitane n’est qu’une partie d’un tout : elle est liée à nos paysages, nos traditions, nos relations avec le vivant. Sa grande diversité est vectrice de tolérance, de pluralité et d’universalisme, illustrant en cela la magnifique phrase du portugais M. Torga : « L’universel, c’est le local sans les murs ».
Transmettre, c’est aussi lutter contre l’oubli. Il y a une richesse immense dans ce que nos anciens savaient nommer et comprendre. Et d’un biais accessible au plus grand nombre.
« On ne peut pas comprendre si on n’écoute pas. Que ce soit les oiseaux, les noms de lieux ou la langue occitane, tout est lié. Il suffit d’ouvrir les yeux et les oreilles pour renouer avec ce patrimoine vivant. »
Pourquoi vivre dans le Haut-Languedoc ?
Parce que c’est la terre où je suis né. Je suis comme la truite qui revient toujours à son cours d’eau natal. Et cette terre, je la partage avec ceux nés ici ou ailleurs et tous les êtres vivants qui m’entourent. J’apprécie que le Parc valorise les langues et cultures de son territoire. J’ai milité pour que l’occitan soit intégré au cœur de notre vie quotidienne ici, et ça a porté ses fruits.
Sur le même sujet
Laurent Rippert- Journal du Parc 2025
Pierre Derioz - Journal du Parc 2025
Émilie Dubourg - Journal du Parc 2025

Marjorie Leusiau - Journal du Parc 2025